Premières lectures d'après Albert Cim (1845-1924)- Partie IV

Publié le par Livres et rares

Au début de ses Confessions, Jean-Jacques ROUSSEAU (1712-1778) évoque en ces termes les ineffaçables souvenirs de ses premières lectures, faites à Genève, en compagnie de son père: "Je ne sais comment j'appris à lire; je ne me souviens que de mes premières lectures et de leur effet sur moi: c'est le temps d'où date sans interruption la conscience de moi-même. Ma mère avait laissé des romans; nous nous mîmes à les lire après souper, mon père et moi. Il n'était question d'abord que de m'exercer à la lecture par des livres amusants; mais bientôt l'intérêt devint si vif, que nous lisions tour à tour sans relâche, et passions les nuits à cette occupation. Nous ne pouvions jamais quitter qu'à la fin du volume. Quelquefois mon père, entendant le matin les hirondelles, disait, tout honteux: "Allons nous coucher; je suis plus enfant que toi".... Plutarque surtout devint ma lecture favorite. Le plaisir que je prenais à le relire sans cesse me guérit un peu des romans;"etc.

 

Dès son bas âge, Mme ROLAND (1754-1793) témoigna le goût le plus vif pour la lecture. Ainsi que son maître Rousseau, elle ne sait plus comment elle apprit à lire:

 

"Vive sans être bruyante, et naturellement recueillie, je ne demandais qu'à m'occuper, écrit-elle dans ses Mémoires, et saisissais avec promptitude les idées qui m'étaient présentées. Cette disposition fut mise tellement à profit que je ne me suis jamais souvenue d'avoir apprit à lire; j'ai ouï dire que c'était chose faite à quatre ans, et que la peine de m'enseigner s'était, pour ainsi dire, terminée à cette époque, parce que, dès lors, il n'avait plus été besoin que de ne pas me laisser manquer de livres. Quels que fussent ceux qu'on me donnait ou dont je pouvais m'emparer, ils m'absorbaient tout entière, et l'on ne pouvait plus me distraire que par des bouquets. La vue d'une fleur caresse mon imagination et flatte mes sens à un point inexprimable; elle réveille avec volupté le sentiment de l'existence. Sous le tranquille abri du toit paternel, j'étais heureuse dès l'enfance avec des fleurs et des livres....Dans l'étroite enceinte d'une prison, au milieu des fers imposés par la tyrannie la plus révoltante, j'oublie l'injustice des hommes, leurs sottises et mes maux, avec des livres et des fleurs...

 

"Avec les livre élémentaires dont on avait soin de me fournir, j'épuisai bientôt ceux de la petite bibliothèque de la maison. Je dévorais tous, et je recommençais les mêmes lorsque j'en manquais de nouveaux. Je me souviens de deux in-folio de Vies des Saints, d'une Bible de même format en vieux langage, d'une ancienne traduction des Guerres civiles d'Appien, d'un Théâtre de la Turquie en mauvais style, que j'ai relus bien des fois. Je trouvai ainsi le Roman comique de Scarron et quelques recueils de prétendus bons mots, que je ne relus pas deux fois; les Mémoires du brave de Pontis, qui m'amusaient, et ceux de Mlle de Montpensier, dont j'ai assez la fierté, et quelques autres vieilleries, dont je vois encore la forme, le contenu et les taches. La rage d'apprendre me possédait tellement, qu'ayant déterré un Traité de l'Art héraldique, je me mis à l'étudier; il y avait des planches coloriées qui me divertissaient, et j'aimais à savoir comme on appelait toutes ces petites figures: bientôt j'étonnai mon père de ma science en lui faisant des observations sur un cachet composé contre les règles de l'art; je devins son oracle en cette matière, et je ne le trompais point. Un petit Traité des contrats me tomba sous la main; je tentai aussi de l'apprendre, car je ne lisais rien que je n'eusse l'ambition de le retenir; mais il m'ennuya, je ne conduisis pas le volume au quatrième chapitre.

d'après Albert Cim, LE LIVRE,Paris,Ernest Flammarion,1923

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